L’édition musicale, incomprise, aussi en temps de crise
Alliés essentiels des auteurs-compositeurs, les éditeurs de musique, se sentent de nouveau ignorés par les pouvoirs publics. Aucune des mesures d’urgence annoncées par le gouvernement et par le Centre National de la Musique pour pallier aux effets de la crise sanitaire liée au coronavirus ne leur est destinée. Moins visibles que d’autres acteurs du secteur de la musique, ils seront pourtant largement affectés.
L’histoire se répète. Déjà oubliés du crédit d’impôt qu’ils réclament depuis plusieurs années, les éditeurs de musique sont les grands absents des annonces du Ministère de la Culture et du Centre National de la Musique concernant la gestion des effets de la crise sanitaire liée à l’épidémie due au Covid-19 dans le monde de la culture.
Particularité de l’édition, cette crise produira un effet immédiat, et un effet différé. L’effet immédiat est lié à l’annulation de nombre de productions cinématographiques, audiovisuelles et publicitaires, qui entraine une baisse des revenus directs de la synchronisation musicale. L’effet différé, qui sera encore plus catastrophique, aboutira à une chute des répartitions de droits d’auteur dans un an, du fait de la chute des exploitations d’œuvres en ce moment. La fermeture des commerces, des salles de cinéma, l’annulation des concerts, les albums dont le lancement sera décalé, la chute de la synchronisation, aussi, entraîneront en effet une perte sèche en termes de droits d’auteur.
« En tant qu’éditeurs, nous avons un travail au long cours », explique Matthieu Remond, de Rising Bird Music, spécialiste du développement d’artistes. « Les rémunérations ne sont pas instantanées, mais se développent avec les années. L’annulation de concerts pendant la crise sanitaire entrainera des pertes qui sont aujourd’hui difficilement chiffrables, et que nous ressentirons en 2021, voire même en 2022. De la même manière, des albums qui devaient sortir pendant cette période, et sur lesquels nous avons investi en tant qu’éditeurs, ne sortiront que plus tard. A ce moment-là, il y aura probablement un engorgement, et nos artistes en développement n’auront pas la priorité, ni sur les diffusions radios, ni en télévision… »
Autre effet, contre-intuitif, mais désormais établi, de la crise sanitaire, les écoutes sur des plateformes telles que Spotify ou Deezer n’augmentent pas, bien au contraire. « Cela s’explique sans doute largement par le fait que les habitudes de consommation du streaming sont liées aux trajets pour aller et revenir du travail, ou aux activités sportives. Or ces deux types d’usage ont fortement baissé », résume Matthieu Remond, qui estime que pour son entreprise « l’impact de la crise sanitaire sera considérable. »
IMPACT EN DÉCALÉ
Les revenus des éditeurs de musique classique et contemporaine sont également fortement affectés, explique François Dahlman, président de la Chambre Syndicale des Editeurs de Musique de France : « la part la plus importante de nos revenus provient de la vente et de la location de partitions d’orchestre. Tout s’est arrêté le 17 mars. Nous n’avons donc plus de revenus immédiats. Par ailleurs, dans un an, du fait de l’annulation des spectacles, nous n’aurons pas non plus de droits d’exécution publique. Certaines très petites structures sont en danger immédiat. »
Même inquiétude dans le secteur très international des librairies musicales. Sébastien Bonneau de l’agence Myma rappelle que les difficultés des éditeurs de musique n’ont pas commencé au premier jour du confinement en France, mais bien avant : « nous avons subi une baisse de 30% de la synchronisation dès janvier. Dans le monde de la communication, beaucoup de budgets sont transnationaux : le ralentissement en Chine, en Italie, en Espagne, a eu un impact sur nous. Les annonceurs commençaient à être plus frileux aussi, sans parler de l’industrie du long métrage, qui était déjà consciente que les salles seraient fermées. »
Également président de l’Union des Librairies Musicales, Sébastien Bonnaud précise que la librairie musicale est un secteur qui demande des investissements en amont considérables, afin de pouvoir adapter le catalogue aux attentes esthétiques et qualitatives des clients prospectifs : « avant, il suffisait de vendre la musique qu'on avait produit. Aujourd’hui, il faut produire la musique dont le marché a besoin. Il faut se démarquer par la qualité : au final, l’approche de production de musique pour la librairie musicale ne diffère plus de la production de musique commerciale. Comme eux, nous faisons des castings, nous gérons les cachets des musiciens, nous mixons. » Or ces investissements en amont pourraient être perdus si le marché ne reprend pas rapidement.
« L’impact le plus catastrophique pour nous arrivera en décalé », résume Juliette Metz, présidente de la CSDEM. La question est aujourd’hui de faire passer ce message aux institutions de l’Etat, pour que l’édition ne soit pas laissée sur le carreau, et ne devienne pas à terme, comme le craint Matthieu Remond « une industrie sinistrée. ». Le fait que la toute première action du Centre National de la Musique ait omis les éditeurs de musique est un « mauvais signal », estime Juliette Metz, qui rappelle que l’édition musicale a largement soutenu sa mise en place.
Isabelle Szczepanski
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Trois questions à Juliette Metz, présidente de la Chambre Syndicale de l’Édition Musicale
QUELS SONT LES IMPACTS ACTUELS ET FUTURS DE LA CRISE SANITAIRE SUR L’ÉDITION MUSICALE ?
L’impact immédiat concerne la synchronisation musicale, qui dégringole. Du fait de l’annulation de campagnes publicitaires, de tournages de films, et de productions, nos contrats actuels sont remis en cause. La synchronisation représente 17%, en moyenne, du chiffre d’affaire des éditeurs français de musique. Mais l’impact le plus catastrophique pour nous arrivera en décalé, par la baisse des droits d’auteur, qui sont le coeur de nos modèles économiques. Du fait des échéances de paiements des droits d’auteurs, nous ressentirons cette chute en 2021, voire en 2022. Les services de la Sacem s’organisent pour que tout fonctionne le plus normalement possible pour les répartitions prévues cette année. Nous les aidons bien entendu, notamment en matière de simplification au niveau de l’enregistrement des œuvres.
LE CENTRE NATIONAL DE LA MUSIQUE N’A PAS PRÉVU DE MESURE D’URGENCE À DESTINATION DE L’ÉDITION MUSICALE : QUELLE A ÉTÉ VOTRE RÉACTION ?
Nous sommes très déçus. Il s’agit de la toute première décision du Centre National de la Musique, et l’édition musicale est oubliée. C’est incompréhensible et il est plus que navrant que les auteurs-compositeurs soient distingués des éditeurs pour des droits liés aux œuvres.
LA COMPLEXITÉ DE VOTRE MODÈLE ÉCONOMIQUE ÉCHAPPE-T-ELLE AUX INSTITUTIONS ?
Notre métier n’est toujours pas compris, alors que nous avons beaucoup travaillé au cours des dernières années pour expliquer notre apport à la création. Cet apport est considérable : nous accompagnons les carrières des auteurs-compositeurs en travaillant à l’exploitation de leurs oeuvres. Nous trouvons des interprètes, et des exploitations secondaires, et gérons leurs droits. Nous avions le sentiment d’avoir fourni le travail nécessaire pour être pris en compte par les institutions : nous avons produit des études, qui n’ont pas de pareil ailleurs dans le monde dans ce secteur. Être ignorés par la première action concrète du CNM, alors que nous sommes dans une situation angoissante, est un mauvais signal. C’est d’autant plus frustrant que nous avons toujours considéré que le CNM est et sera très utile pour l’industrie musicale. Je comprends néanmoins que le contexte ne facilite pas les prises de décision pour ce nouvel établissement qui est en pleine phase de lancement.
L’histoire se répète. Déjà oubliés du crédit d’impôt qu’ils réclament depuis plusieurs années, les éditeurs de musique sont les grands absents des annonces du Ministère de la Culture et du Centre National de la Musique concernant la gestion des effets de la crise sanitaire liée à l’épidémie due au Covid-19 dans le monde de la culture.
Particularité de l’édition, cette crise produira un effet immédiat, et un effet différé. L’effet immédiat est lié à l’annulation de nombre de productions cinématographiques, audiovisuelles et publicitaires, qui entraine une baisse des revenus directs de la synchronisation musicale. L’effet différé, qui sera encore plus catastrophique, aboutira à une chute des répartitions de droits d’auteur dans un an, du fait de la chute des exploitations d’œuvres en ce moment. La fermeture des commerces, des salles de cinéma, l’annulation des concerts, les albums dont le lancement sera décalé, la chute de la synchronisation, aussi, entraîneront en effet une perte sèche en termes de droits d’auteur.
« En tant qu’éditeurs, nous avons un travail au long cours », explique Matthieu Remond, de Rising Bird Music, spécialiste du développement d’artistes. « Les rémunérations ne sont pas instantanées, mais se développent avec les années. L’annulation de concerts pendant la crise sanitaire entrainera des pertes qui sont aujourd’hui difficilement chiffrables, et que nous ressentirons en 2021, voire même en 2022. De la même manière, des albums qui devaient sortir pendant cette période, et sur lesquels nous avons investi en tant qu’éditeurs, ne sortiront que plus tard. A ce moment-là, il y aura probablement un engorgement, et nos artistes en développement n’auront pas la priorité, ni sur les diffusions radios, ni en télévision… »
Autre effet, contre-intuitif, mais désormais établi, de la crise sanitaire, les écoutes sur des plateformes telles que Spotify ou Deezer n’augmentent pas, bien au contraire. « Cela s’explique sans doute largement par le fait que les habitudes de consommation du streaming sont liées aux trajets pour aller et revenir du travail, ou aux activités sportives. Or ces deux types d’usage ont fortement baissé », résume Matthieu Remond, qui estime que pour son entreprise « l’impact de la crise sanitaire sera considérable. »
IMPACT EN DÉCALÉ
Les revenus des éditeurs de musique classique et contemporaine sont également fortement affectés, explique François Dahlman, président de la Chambre Syndicale des Editeurs de Musique de France : « la part la plus importante de nos revenus provient de la vente et de la location de partitions d’orchestre. Tout s’est arrêté le 17 mars. Nous n’avons donc plus de revenus immédiats. Par ailleurs, dans un an, du fait de l’annulation des spectacles, nous n’aurons pas non plus de droits d’exécution publique. Certaines très petites structures sont en danger immédiat. »
Même inquiétude dans le secteur très international des librairies musicales. Sébastien Bonneau de l’agence Myma rappelle que les difficultés des éditeurs de musique n’ont pas commencé au premier jour du confinement en France, mais bien avant : « nous avons subi une baisse de 30% de la synchronisation dès janvier. Dans le monde de la communication, beaucoup de budgets sont transnationaux : le ralentissement en Chine, en Italie, en Espagne, a eu un impact sur nous. Les annonceurs commençaient à être plus frileux aussi, sans parler de l’industrie du long métrage, qui était déjà consciente que les salles seraient fermées. »
Également président de l’Union des Librairies Musicales, Sébastien Bonnaud précise que la librairie musicale est un secteur qui demande des investissements en amont considérables, afin de pouvoir adapter le catalogue aux attentes esthétiques et qualitatives des clients prospectifs : « avant, il suffisait de vendre la musique qu'on avait produit. Aujourd’hui, il faut produire la musique dont le marché a besoin. Il faut se démarquer par la qualité : au final, l’approche de production de musique pour la librairie musicale ne diffère plus de la production de musique commerciale. Comme eux, nous faisons des castings, nous gérons les cachets des musiciens, nous mixons. » Or ces investissements en amont pourraient être perdus si le marché ne reprend pas rapidement.
« L’impact le plus catastrophique pour nous arrivera en décalé », résume Juliette Metz, présidente de la CSDEM. La question est aujourd’hui de faire passer ce message aux institutions de l’Etat, pour que l’édition ne soit pas laissée sur le carreau, et ne devienne pas à terme, comme le craint Matthieu Remond « une industrie sinistrée. ». Le fait que la toute première action du Centre National de la Musique ait omis les éditeurs de musique est un « mauvais signal », estime Juliette Metz, qui rappelle que l’édition musicale a largement soutenu sa mise en place.
Isabelle Szczepanski
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Trois questions à Juliette Metz, présidente de la Chambre Syndicale de l’Édition Musicale
QUELS SONT LES IMPACTS ACTUELS ET FUTURS DE LA CRISE SANITAIRE SUR L’ÉDITION MUSICALE ?
L’impact immédiat concerne la synchronisation musicale, qui dégringole. Du fait de l’annulation de campagnes publicitaires, de tournages de films, et de productions, nos contrats actuels sont remis en cause. La synchronisation représente 17%, en moyenne, du chiffre d’affaire des éditeurs français de musique. Mais l’impact le plus catastrophique pour nous arrivera en décalé, par la baisse des droits d’auteur, qui sont le coeur de nos modèles économiques. Du fait des échéances de paiements des droits d’auteurs, nous ressentirons cette chute en 2021, voire en 2022. Les services de la Sacem s’organisent pour que tout fonctionne le plus normalement possible pour les répartitions prévues cette année. Nous les aidons bien entendu, notamment en matière de simplification au niveau de l’enregistrement des œuvres.
LE CENTRE NATIONAL DE LA MUSIQUE N’A PAS PRÉVU DE MESURE D’URGENCE À DESTINATION DE L’ÉDITION MUSICALE : QUELLE A ÉTÉ VOTRE RÉACTION ?
Nous sommes très déçus. Il s’agit de la toute première décision du Centre National de la Musique, et l’édition musicale est oubliée. C’est incompréhensible et il est plus que navrant que les auteurs-compositeurs soient distingués des éditeurs pour des droits liés aux œuvres.
LA COMPLEXITÉ DE VOTRE MODÈLE ÉCONOMIQUE ÉCHAPPE-T-ELLE AUX INSTITUTIONS ?
Notre métier n’est toujours pas compris, alors que nous avons beaucoup travaillé au cours des dernières années pour expliquer notre apport à la création. Cet apport est considérable : nous accompagnons les carrières des auteurs-compositeurs en travaillant à l’exploitation de leurs oeuvres. Nous trouvons des interprètes, et des exploitations secondaires, et gérons leurs droits. Nous avions le sentiment d’avoir fourni le travail nécessaire pour être pris en compte par les institutions : nous avons produit des études, qui n’ont pas de pareil ailleurs dans le monde dans ce secteur. Être ignorés par la première action concrète du CNM, alors que nous sommes dans une situation angoissante, est un mauvais signal. C’est d’autant plus frustrant que nous avons toujours considéré que le CNM est et sera très utile pour l’industrie musicale. Je comprends néanmoins que le contexte ne facilite pas les prises de décision pour ce nouvel établissement qui est en pleine phase de lancement.